Le « mukbanger », ce goinfre prêt à se rendre malade pour devenir célèbre


Dévorer vingt pizzas, cinq giga tacos, cinquante smash burgers… Une orgie de junk food à faire vomir, c’est ce qu’ingurgitait dans ses vidéos (800 000 abonnés) le youtubeur français AlanFoodChallenge, surnommé « le mangeur fou ».

Mais comment rebondir quand on bâtit son succès sur une performance spectaculaire, garantie sans triche, mais qui s’avère simulée ? En juillet, il s’est fait démasquer en direct sur la chaîne Twitch IbraTV. Theo Malini (un autre vidéaste) l’a accusé de truquer ses vidéos en les accélérant et en coupant des passages. AlanFoodChallenge a expliqué ensuite sur YouTube qu’il avait dû « embellir » ses défis à cause de la pression des sponsors. Et a tenté, lors d’un live sur Twitch, de prouver sa bonne foi en engloutissant à la suite plusieurs méga tacos… Mais il a calé au bout d’une demi-tortilla.

Le terme mukbang est un mot-valise coréen, contraction de « manger » et « diffuser ». C’est en Corée du Sud, en 2009, que la chaîne de streaming AfreecaTV a diffusé, pour la première fois, ce type de contenu. On surnomme alors ces streamers spécialisés dans la consommation pantagruélique d’aliments en live les « BJ » (broadcast jockeys), rémunérés grâce aux dons des spectateurs. Au début des années 2010, le phénomène prend de l’ampleur dans le pays. Preuve de sa popularité : des séries de K-Drama se sont approprié le thème, comme Let’s Eat (2013), dont les quatre héros passent leur temps à bâfrer.

La chaîne YouTube de Nikocado Avocado, autoproclamé « Roi du mukbang ».

Le plus souvent, les créateurs de contenus se connectent à l’heure du repas. Leurs abonnés peuvent ainsi lancer le live sur leur téléphone et dîner avec eux. En Corée du Sud, partager son repas est très important. Nombre de jeunes venus s’installer dans la mégalopole de Séoul vivent dans de très petits appartements, seuls, et ils affrontent une compétition exacerbée dans le monde du travail. Quand ils rentrent chez eux, ils tchattent pour rompre leur solitude.

Le phénomène ne se cantonne pas à la Corée du Sud. Aux Etats-Unis, rien de nouveau. Les championnats « du plus gros mangeur », déjà bien ancrés culturellement (la fameuse scène du concours de tartes dans le film culte Stand by Me, sorti en 1986), trouvent un large écho sur les réseaux sociaux. En 2016, Twitch introduit une nouvelle catégorie nommée « alimentation sociale » pour répertorier ces contenus, devenue par la suite « nourriture & boissons ». De leur côté, les mukbangers occidentaux ne recourent pas tellement au live et préfèrent enregistrer des vidéos.

Défis de plus en plus absurdes

Conscient que le public est friand de food porn – cette érotisation de l’acte de manger, d’où les vignettes rouge orangé alléchantes – et très sensible à l’ASMR (pour autonomous sensory meridian response, désignant la relaxation produite par des bruits au pouvoir quasi-hypnotique), le « mukbanger » multiplie les stimuli, fait craquer la chapelure du poulet frit, mastique goulûment la chair du volatile et exagère les bruits de succion. Pour gagner des vues – et de l’argent –, il doit sans cesse relever des défis de plus en plus absurdes, comme engloutir un poulpe vivant ou des mets très, très épicés.

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